L’interview d’Ugo Bienvenu
À 33 ans, Ugo Bienvenu a déjà un CV long comme le bras. Il a fait des films, produit des films, été acteur et bien sûr, dessiné quelques-unes des plus belles bandes dessinées de ces dernières années (Préférence système, Paiement accepté). Fidèle à son univers et à ses questionnements, B.O Comme un Dieu est sa première incartade dans la BD érotique. Ugo Bienvenu y met en scène le dernier robot sexuel de la galaxie. Véritable bijou de mécanique, il a été créé pour faire jouir toutes les femmes. Loin de n’être qu’une suite de saynètes débridées, B.O Comme un Dieu est une œuvre existentialiste qui cherche à trouver le sens de la vie. Interview.
GRRIF : B.O Comme un Dieu est votre première BD érotique, qu’est-ce qui vous a donné envie d’explorer ce genre ?
Ugo Bienvenu : Depuis toujours j’aime la BD érotique, évidemment Manara, Veyron, etc. Et puis ma mère travaillait chez Playboy… Voilà pour les premières raisons! Par ailleurs j’aimais beaucoup la collection BD Cul, j’avais envie d’en faire partie. Quand Lyonnel (Cizo) m’a appelé pour que j’en fasse une, j’ai été honoré.
« Je me suis rendu compte que je n’avais finalement pas une libido extravagante »
Avez-vous rencontré des difficultés particulières à réaliser une BD érotique ?
Je croyais vraiment que ça allait être facile, qu’il allait suffire de dessiner de belles scènes et de bien les amener. Mais je me suis vite rendu compte que l’érotisme était un genre complexe.
Je me suis aussi rendu compte que je n’avais finalement pas une libido extravagante, et que mon imaginaire sexuel était extrêmement commun, donc pas franchement excitant, passée la leuleu (NDLR : levrette) je ne savais pas trop quoi faire, j’ai donc dû me documenter. Fort heureusement il existe aujourd’hui des sites spécialisés où j’ai découvert des styles et des positions intéressantes pouvant pallier mon manque d’imagination dans le domaine.
J’ai commencé une première histoire que j’ai arrêtée au bout de 20 pages finies. Elle était érotique, certes, mais elle ne soulevait pas de problématiques, ne posait pas de questions.
À quel moment avez-vous souhaité raconter une histoire à la fois excitante et existentialiste ? Vous êtes d’ailleurs sans doute le premier à le faire…
Je n’arrive pas à écrire ou à faire des choses qui ne posent pas au minimum un regard sur l’humanité, qui ne lui pose pas des questions, ou ne tente pas de la révéler à elle-même. C’est ce que j’aime quand j’écris, nous renvoyer une image actualisée de nous, les humains, comme un miroir augmentant. D’ailleurs le métal de B.O nous reflète et nous renvoie à nous-mêmes!
« Exciter un humain avec un physique non humain me paraissait contre nature »
L’univers est vaste, mais les clientes de B.O sont toutes plutôt humanoïdes. Pourquoi ce choix ?
Il y a plusieurs réponses à cette question! Je me suis dit que, vu la complexité de l’apparition de la vie dans l’Univers, il est fortement probable que nous soyions seuls dans l’univers, et, un peu à la Asimov, que nous soyions les seuls, dans un futur lointain, à coloniser l’espace. Du coup les Martiens seront des Humains dont le corps aura évolué à la marge pour s’adapter à son nouvel habitat.
Il y a aussi un côté fun, très SF premier âge, de juste peindre en bleu un corps humain pour en faire un extraterrestre. Mais il y a surtout le fait que je suis un humain qui fait une BD érotique pour les humains, et exciter un humain avec un physique non humain me paraissait contre nature, proche de la zoophilie, ce qui ne me parlait pas du tout…
« Mes robots sont des extensions de nous-mêmes »
Les thèmes de la mémoire, de l’intelligence artificielle et de la place des humains dans un univers technologique sont très présents dans vos œuvres. On a le sentiment que chaque BD vous permet d’avancer et de creuser un peu plus ces questions. Avez-vous trouvé de nouvelles réponses en travaillant sur B.O comme un Dieu ?
Le futur, les robots permettent de nous regarder avec du recul, froidement. La mémoire et la transmission sont vraiment les thèmes qui me passionnent le plus. B.O est d’ailleurs un être entièrement stérile, il ne peut pas se reproduire, il ne pense pas ou peu, il n’a aucun but, aucun espoir, mais il vit. Qu’est-ce que c’est, vivre? Est-ce que c’est être fonctionnel, utile? Mais à quoi bon si nous n’en tirons pas nous-mêmes des bénéfices, en bonheur, en joie, en sensations de toute cette utilité que nous déployons ? C’est un peu ce qui traverse B.O, lui qui donne tant de bonheur et de plaisir. Il se pose la question de ce que c’est d’exister, du sens de sa vie. Peut-elle en avoir un ?
Mes robots sont des extensions de nous-mêmes. Ils me permettent de nous placer en eux et de nous regarder froidement, de nous observer froidement, avec recul, tendresse parfois, mais aussi dégoût, interrogation. En tout cas toujours avec intérêt.
Je ne cherche pas, par contre, à donner de réponses, ni à en trouver, mais plutôt à soulever de nouvelles questions, ou à en réactualiser d’autres qui sont éternelles, qui accompagnent l’humanité depuis son commencement. C’est comme ça que je procède dans tout ce que je produis.
Au final, B.O le robot est sans doute le personnage le plus humain de l’histoire. Est-ce pour mieux nous faire sentir que nous, les humains, perdons petit à petit notre humanité ?
C’est aussi une question que je soulève depuis le tout début de ma production : nous n’attendons pas les robots ou une évolution pour nous couper de notre humanité. C’est ce qui guide tout ce que je fais: pointer les moments ou un Homme (homme ou femme), ou bien l’Homme en tant qu’espèce tout entière, prend un chemin qui me semble mener vers moins d’humanité, moins de vie en commun. Dès que je vois une bribe, un embryon de ce potentiel, je le note et le questionne, j’en tire les lignes pour voir sa destination finale, ce que ça peut produire.
« B.O Comme un Dieu », d’Ugo Bienvenu, aux éditions Les Requins Marteaux, collection BD Cul
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Crédit image : Eric Garault