Au volant de sa Rolls Royce Silver Ghost, Gainsbourg percute le vélo d’une adolescente aux cheveux rouge. Elle s’appelle Melody. Gainsbourg tombe amoureux d’elle, et c’est le début d’une passion consommée dans un hôtel particulier. Mais Melody meurt tragiquement dans le crash d’un Boeing 707 et Gainsbourg invoque le culte du cargo pour qu’on lui rende son amour. Fin de l’«Histoire de Melody Nelson», tout premier concept album de Gainsbourg.
Un album qui flirte avec les « arts majeurs »
Sa sortie est un bide. Il reste dans les bacs de l’underground pendant plusieurs années, malgré une campagne promo massive. Trop symphonique, trop poétique, pas en phase avec son époque. Dans la France du début des années 1970, les artistes dénoncent l’oppression du capitalisme et défendent la liberté sexuelle, l’échangisme, le flower power et les réminiscences hippies. Tous les films, tous les disques ne parlent que de ça. Gainsbourg ne se sent pas concerné. Il a passé Mai 68 cloîtré dans une suite du Hilton à regarder la révolution derrière sa télé. Lui, ce qu’il veut, c’est faire un album qui s’approche des « arts majeurs » – son expression obsessionnelle pour qualifier les arts qui demandent une initiation – comme la musique classique. Il va chercher l’arrangeur Jean-Claude Vannier qui tient une place très importante dans l’œuvre.
Hommage à la poésie et à Nabokov
Gainsbourg convoque aussi la littérature et la poésie. Les paroles de « Melody Nelson » forment des sonnets; et la trame narrative rend hommage à « Lolita« , roman que Vladimir Nabokov avait d’ailleurs écrit en français.
L’album devient culte
Persuadé qu’il a fait un très beau disque, Gainsbourg rêve que le public en fasse des covers. Mais en 1971, « Melody Nelson » se vend à seulement 70’000 exemplaires. Vannier et Gainsbourg sont très déçus et passent à autre chose. Il faut attendre les années 1980 pour voir l’artiste revenir au premier plan en imposant le reggae en France et en faisant scandale avec « Aux armes et cætera« . C’est à partir de ce moment-là que le public se met à apprécier « Melody Nelson » à sa juste valeur. Et c’est après la mort de Gainsbourg que son rêve devient réalité: Mirwais, Beck, Tricky, Sean Lennon, tous ont repris des extraits de l’album à leur sauce. Mais le groupe le plus marqué est sans doute Portishead qui, dès le début, essaye de copier l’ambiance du disque dans ses productions. Gainsbourg a amené le reggae chez les francophones, il a inspiré le hip-hop et l’electro de manière générale. Avec « Melody Nelson« , il a carrément instigué le trip-hop.
La photo de l’album
En bonus, Caroline Toussaint vous présente l’histoire de la cover du disque.