On connaît Serge Gainsbourg auteur, compositeur, réalisateur, peintre. C’était aussi un véritable poète, un homme de Lettres. En 1980, il laisse exploser son talent pour le Verbe dans un ouvrage, son seul et unique roman : Evguénie Sokolov. Publiée aux Editions NRF (rien que ça), réédité chez Folio, l’œuvre est un « pamphlet contre la peinture ». Elle raconte l’histoire d’un peintre, dont la signature -une sorte de vibrato- est provoquée par un problème physiologique. Pour le dire en des mots simples : à chaque fois qu’Evguénie Sokolov pète en peignant, ça fait trembler sa main et son pinceau. Le résultat sur toile est toujours un chef-d’œuvre. Pour s’assurer le haut de l’affiche jusqu’au bout, Sokolov entretient ses flatulences (à bonne dose de viandes avariées, de légumineuses et de céréales). Sauf qu’à force de pétarader sans cesse, le personnage principal finit par se détruire et meurt de ses déflagrations anales.
Un style sans pareil
Serge Gainsbourg signe une intrigue digne d’un gamin de 6 ans (si l’on omet un passage d’amourette pédophile du plus mauvais goût). Mais au-delà du « caca-prout », c’est un texte précis, travaillé, empreint de style et de professionnalisme. L’auteur a passé six ans pour pondre cet ouvrage : il a notamment épluché des archives de la Faculté de médecine. Les mots ont été travaillés, étudiés, choisis avec une précision chirurgicale (au point de devoir s’armer d’un dictionnaire, pour comprendre tous les termes savants employés).
L’œuvre d’un poète provoc’
L’auteur a souhaité livrer un « conte parabolique » documenté, une satire de la peinture moderne et de l’arrivisme. Dans une interview accordée à un Bernard Pivot complice, il ajoute qu’Evguénie Sokolov, c’est un peu lui, et un peu Francis Bacon aussi. Evguénie Sokolov est sans nul doute l’œuvre d’un génie littéraire ballonné… L’œuvre d’un poète « provoc’ », dans la lignée d’un Verlaine ou d’un Rimbaud signant leur Sonnet du trou du cul. Pour Gainsbourg, cela se résumait ainsi : « Si je ne provoque pas, je n’ai plus rien à dire ».