En mars dernier, Flèche Love publiait son nouveau single, Acherontia Atropos, extrait de son futur album. L’artiste versera l’intégralité des revenus liés à ce titre aux migrants. En interview, elle nous parle de sa musique, de sa collaboration avec le photographe Juan Del’O et de sa démarche envers les plus démunis.
GRRIF : Comment se passe ton confinement ?
Flèche Love : Pour être honnête mon quotidien n’est pas tellement différent. Habituellement je ne sors pas beaucoup, je suis une louve sauvage et assez solitaire. Bien sûr, le fait de ne plus pouvoir sortir, de ne pas avoir le choix est très particulier : dire que le climat anxiogène ne me touche pas serait mentir, mais je suis en bonne santé, j’ai un toit sur la tête, je mange à ma faim, mes amies et ma famille vont bien alors je ne peux pas me plaindre.
Les migrants, les sans-abris, les personnes qui sont en détresse psychologique n’ont pas cette chance… Je me sens bien démunie face à ces injustices que la crise du coronavirus accentue encore plus. C’est pourquoi j’ai décidé de reverser l’intégralité des revenus liés à Acherontia Atropos au BAAM (Bureau d’Accueil et d’Accompagnement des Migrants). Et encore, je sais que c’est une bien petite goutte d’eau…
« J’adore remettre en question ce qui semble être la règle »
Acherontia Atropos est le premier single de ton prochain album, Naga Part 2. Pourquoi avoir choisi de réaliser un diptyque ?
Je voulais dérouler une trame, m’offrir la liberté de prendre la parole plusieurs fois, de ne pas figer ma musique dans un seul geste, m’offrir la liberté de créer quand j’en ai envie… et aussi parce que j’adore remettre en question ce qui semble être la règle !
En quoi les deux parties sont différentes ?
En tout. À part ma voix, tout change. Je ne suis pas du genre à faire deux fois le même morceau, ou à faire un morceau pour que « ça passe à la radio ». Je fais ce qui me traverse, ce qui me bouleverse, et j’aime expérimenter : les langues, les textures, les métriques…
Il y a beaucoup de tension dans ta musique. Lorsqu’on écoute pour la première fois Acherontia Atropos, il est difficile de prévoir ce qui va suivre dans le morceau…
Bienvenue dans ma tête (rires). C’est juste comme ça que je réfléchis, je vais dans tous les sens, j’ai mille émotions et idées à la seconde. Je suis toujours étonnée que les artistes respectent autant la structure des morceaux. Mon premier morceau, Umusuna, n’avait pas de refrain, je l’ai conçu comme un haiku, un petit poème.
Acherontia Atropos parle de la rencontre du grand amour, qui va de pair avec la rencontre de soi-même. On peut passer sa vie à seulement se croiser et passer à côté de soi-même. Et cette rencontre est à la fois mélancolique, pleine de gratitude, de colère aussi. C’est pour ça qu’il y a de la tension. Le morceau s’ouvre sur la gratitude. Ensuite, il y a une tension, la réalisation du prisme d’émotions. Le rap vient chercher mon enfant intérieur, lui rendre hommage et lui donner de la force aussi.
« La collaboration a coulé de source, cela a tout de suite été très simple et très motivant »
Tu as réalisé le clip d’Acherontia Atropos avec la complicité de Juan Del’O Comment as-tu fait sa connaissance ?
Juan est un ange tombé du ciel ! J’avais envie de changer d’équipe créative, j’avais envie d’être encore plus investie dans l’aspect créatif. Ce n’est pas toujours évident de trouver quelqu’un avec qui tu peux imaginer librement de façon complice, qui respecte ton point de vue mais qui amène toujours des idées passionnantes. J’ai découvert le travail de Juan sur Instagram, j’ai été touchée par ses photos, alors je l’ai contacté, et la collaboration a coulé de source, cela a tout de suite été très simple et très motivant.
Ce n’est pas le genre d’homme à faire du mansplaining ou a vouloir parler plus, ou plus fort. C’est un être bien avec lui-même, et ça se sent car il accueille les gens et c’est précieux. Juan est un artiste incroyable, il prend ses photos chez lui dans son petit studio de 20 m², avec pas grand chose, mais chaque photo dégage quelque chose de super fort. Il est extrêmement humble, très cultivé, très à l’écoute aussi, jamais pédant. Il est autant photographe que danseur, il connaît beaucoup de choses sur le monde de la danse contemporaine, et il a partagé sa sensibilité avec la mienne. C’était super fluide. Moi bélier, lui gémeaux: parfaite collaboration.
« Nos créativités et nos imaginaires sont très complémentaires »
Tu peux nous en dire un peu plus sur le concept du clip ?
Je suis partie d’un ancien proverbe chinois :
« Un fil invisible relie ceux qui sont destinés à se rencontrer,
Quels que soient le moment, le lieu et les circonstances.
Le fil peut s’étirer ou s’emmêler. Mais cela ne se cassera jamais. »
De là, j’ai commencé à dessiner l’idée de deux corps qui s’emmêlent, accroupis, dans les bras l’un de l’autre, en simple jeans et torses nus, la chair qui palpite. Le rouge fait écho au premier chakra d’enracinement.
À la base, j’imaginais que les corps seraient littéralement liés l’un à l’autre avec avec un fil, et Juan a apporté cette idée géniale d’avoir plutôt recours aux costumes de zentai qu’il utilise pour ses photos. Juan aime faire de la magie avec des choses simples, en détournant l’usage. Nos créativités et nos imaginaires sont très complémentaires. Aussi, lorsque j’ai décidé de donner tous les revenus liés à ce morceau à BAAM, il m’a dit qu’il verserait également son salaire du clip à l’association. Juan est une magnifique rencontre.
Tu es une artiste engagée et militante. As-tu le sentiment que ta musique peut faire évoluer les mentalités ?
Non, je n’ai pas cette prétention. La musique me fait surtout évoluer moi-même, ou plutôt, elle est le résultat de mon cheminement, ou devrais-je dire, une étape de plus. Si elle touche les gens alors je suis la plus heureuse.
Pour terminer, un petit mot pour le coronavirus ?
Pour le coronavirus… un sort d’Harry Potter peut-être ? Pour le faire disparaître… EVANESCO !
Crédits Images : Neil Mota