Sortir des vieux films oubliés, étranges et décriés, c’est le travail de l’éditeur Le Chat qui fume. Cette structure française indépendante s’apprête à ressortir La Traque de Serge Leroy en Blu-ray et Ultra HD. Un film culte qui a traumatisé toute une génération et qui n’a pas connu de sortie physique depuis 40 ans. Rencontre avec l’un des deux membres du Chat qui fume : Stéphane Bouyer.
Interview audio en fin d’article
Des films qui tachent
Stéphane Bouyer a commencé par éditer de vieux films il y a une quinzaine d’années, puis il est passé à la restauration avec son nouvel associé Philippe Blanc: « La restauration, on a mis un pied dedans il y a trois-quatre ans avec le film 3615 code Père Noël. On s’est pris de passion pour la ce travail, on trouve très intéressant d’aller fouiller dans les laboratoires. On s’est dit qu’on allait essayer d’éditer des films français perdus et oubliés et qui n’ont jamais été édités depuis la cassette vidéo, il y a 40 ans. Une très grosse partie de la production française des années 1970 a totalement disparu ».
Si des réalisateurs adoubés comme Godard, Tavernier ou Truffaut ont droit à leur restauration, les petites productions sont mises de côté. Une particularité française, car les productions italiennes, allemandes ou américaines du cinéma de genre sont au contraire valorisées: « Les Américains, le cinéma d’exploitation est dans leur ADN. Mais en France, l’intelligentsia dit que tous ces petits films de genre, c’est de la merde, même si ces films-là avaient du succès à l’époque. Un réalisateur comme Jean Rollin est totalement boudé en France, mais très apprécié à l’étranger. Pour La Rose écorchée de Claude Mulot par exemple, on a vendu 1’500 exemplaires, dont un tiers à l’étranger. »
Mais les choses commencent à bouger gentiment. Les Cahiers du Cinéma ont récemment parlé de Jess Franco et de quelques gialli issus du catalogue du Chat qui fume. Impensable il y a encore quelques années.
Une cinéphilie open bar
Lorsqu’on parcourt le catalogue du Chat qui fume, on trouve surtout des films d’horreur et des thrillers. Mais la cinéphilie du vilain matou reste très ouverte et n’est pas cantonnée aux films de genre : « Moi je rêverais de sortir un film de Franju ! Ça fait des années que j’embête Gaumont pour qu’on puisse restaurer Les Yeux sans visage. C’est un très grand film français ! Pour l’instant Gaumont ne le souhaite pas, mais on l’aura un jour ! »
La Traque, une première sortie mondiale
En 1975, le réalisateur Serge Leroy tourne le film La Traque avec Mimsy Farmer, Jean-Pierre Marielle et le regretté Michael Lonsdale. Connu et attendu des cinéphiles, ce film n’a pas eu de réédition depuis sa sortie en VHS. Prévue pour la fin de cette année, la sortie du film en Blu-ray et Ultra HD bénéficie d’une restauration pour le moins pointilleuse : « Comme La Traque se situe en forêt, il y a beaucoup de textures. Les branches et les feuilles passent rapidement à l’écran. Le logiciel qui nous permet de nettoyer les imperfections peut facilement se tromper et croire qu’il s’agit d’une poussière ou d’un défaut. Il risque donc d’effacer une partie de l’image. C’est difficilement perceptible au niveau de l’œil humain, mais nous on le voit ! On est donc obligé d’y aller image par image pour lui dire de ne pas enlever à tel ou tel endroit. Ça fait déjà trois mois qu’on bosse dessus, mais on veut que le résultat soit parfait. D’autant qu’on sait que sur ce film-là, il n’y aura pas de nouveau master avant des années ! »
Possession & Co
Une autre sortie importante prévue cette année chez Le Chat qui fume est la réédition du film Possession d’Andrej Zulawski, avec Isabelle Adjani: « Possession, c’était un film qu’on voulait depuis des années. Finalement TF1 nous a fait confiance et a eu envie de travailler avec nous. C’est un très gros film et il y a beaucoup d’intervenants qui doivent donner leur aval, comme la jaquette par exemple. Ce sont des gros films à gérer, il faut donc y aller doucement. »
Mais que les amateurs de cinéma bis se rassurent, quelques films jubilatoires sont prévus pour 2021: « Entre janvier et février on va revenir au bis italien qui tache avec des films de Bruno Mattei. Il y aura aussi Les Trois Visages de la peur de Mario Bava, et plus tard Blue Sunshine de Jeff Lieberman. Et en mars-avril, Les Loulous de Patrick Cabouat. »
Un programme qui peut sembler un peu éclaté, même si pour Stéphane Bouyer, chaque film est important: « Sortir un film de Zulawski ou sortir un Mattei, pour nous c’est le même plaisir. Zulawski, c’est le plaisir du cerveau, Mattei, c’est le plaisir du bas-ventre, un peu malsain, un peu brutal.»
Le plaisir de fouiller
Un autre plaisir pour cet éditeur est celui de fouiller dans les laboratoires, de découvrir des bobines mystérieuses, et peut-être même mettre la main sur une scène inédite qui finira dans les bonus, souvent très complets, de ses éditions: « Pour le film Possession, on a retrouvé trois minutes de scènes inédites. C’était des bobines doublées en brésilien qu’Andrej Zulawski a coupé juste avant la sortie internationale. Pour La Traque, il n’y avait malheureusement rien du tout. Mais quand on tombe sur des scènes inédites, on se prend un peu pour Indiana Jones, c’est un plaisir fou ! Je rêve qu’un jour, un ayant-droit comme Studio Canal me dise: « Allez-y, on vous ouvre le laboratoire, allez fouiller pour nous. » Je passerais mon année à fouiller toutes les bobines ! »
Un engagement et un acharnement assez extraordinaires qui ne se retrouvent pas chez tous les éditeurs vidéo: « Comme nous sommes un petite boîte, nous faisons beaucoup de choses tout seuls. Lorsqu’on accompagne un film pendant 6 mois, il faut vraiment pouvoir se dire que ce film-là, on a envie de le soutenir à 100%, de l’aimer et de lui faire l’amour ! ».