Un premier album spontané pour le duo franco-helvetico-argentin Fred & Rose

29 avril 2020

Interview

Après une tournée impressionnante en 2019 avec plus de soixante dates à travers l’Europe et l’Amérique du Sud, Fred & Rose sont à l’arrêt. Confiné à Buenos Aires, le duo franco-helvetico-argentin a bien voulu répondre à nos questions et nous parler d’Estado Alpha, un premier album spontané au son garage et exotique sorti au début du mois, dont est extrait le single Ana Me Besó.

GRRIF : Comment vous êtes vous rencontrés ?

Fred : Je tourne régulièrement en Argentine et en Amérique du Sud en one man band depuis 2015. J’ai rencontré Marcelo di Paola, le bassiste du groupe de surf garage Porteño Los Tormentos, après un concert au Club V (club garage mythique ici à Buenos Aires) en 2017. Il voulait monter un groupe autour de mes titres.

L’année d’après, de retour à Buenos Aires, Marcelo avait recruté Alexis Barkos à la batterie et Rosario à la guitare et au violon. On a répété et tourné pendant toute une semaine dans les clubs de Buenos Aires, c’était sauvage. On a même fait un concert à 5h30 du matin… Avec Rosario, ça a tout de suite collé ! On s’est donné quelques mois pour construire un projet, une tournée,  et début 2019, on était sur la route en Europe.

« Estado Alpha est né avec cette urgence, cette rapidité dans l’écriture et cette recherche de l’essentiel »

Il y a un mélange de blues et de sonorités plus exotiques dans votre musique. Qu’est-ce qui vous a amené à fusionner ces deux genres ?

L’empreinte blues vient, je pense, de la façon dont nous jouons et percevons la musique. Avec Rosa, on partage cet amour pour la musique instantanée. On fait très peu de répétitions, voire pas du tout, on aime suivre notre instinct.

De mon côté, j’ai pas mal d’années au compteur en tant que one man band, c’est là encore un format hérité du blues et on a gardé cette façon de jouer comme armature sur le disque. Estado Alpha est né aussi comme ça, entre deux dates, avec cette urgence, cette rapidité dans l’écriture et cette recherche de l’essentiel. 

Quant à l’exotisme, c’est plutôt vers Rosa qu’il faut regarder… Elle a un sens inné de la mélodie et un talent de musicienne assez incroyable ; je ne sais pas si il y a un instrument dont elle ne sait pas jouer ! C’est vrai qu’elle a apporté toute sa culture sud-américaine dans ce disque. Mais l’exotisme n’est pas que sud-américain. Entre les lignes, on a aussi essayé de conserver une folk européenne. Au final, je pense que l’exotisme est au milieu de tous ces choix…

« On aime faire du bruit, avoir un approche très garage de notre musique »

Quelles sont vos influences ? 

En terme musical, on écoute de tout, on ne se prive pas ! On n’a pas de genre. Je crois que c’est un point commun qu’on a avec Rosa, on aime tout ce qui est vivant : le blues, la folk, les musiques traditionnelles, le hip hop. Il est vrai qu’on n’écoute pas souvent les sorties du moment. On ne sent pas non plus très à l’aise avec la musique d’aujourd’hui et la part importante consacrée à la production. On préfère se dire « 1, 2, 3, 4 » et on enregistre.

On aime aussi les grandes figures populaires d’ici en Amérique du Sud, les grands révolutionnaires, ou tout simplement les gens qui ont des histoires à raconter. Les mythes aussi. On s’inspire beaucoup des saints vernaculaires : Gauchito Gil par exemple, ou la Difunta Correa. On était en Terre de Feu le mois dernier pour des concerts, à Ushuaïa ; au détour d’un sous-bois, on est tombé sur un chemin pavé de petits autels dédiés à ces saints, on y est restés un bon moment. C’était magique. Ce rapport populaire à la religion aussi nous touche beaucoup, c’est riche, c’est coloré.  Dans notre disque, je crois que tout ce pan folklorique est assez présent, dans les textes notamment.

L’année passée vous avez réalisé une tournée à travers l’Europe et l’Amérique du Sud avec plus de soixante concerts. Avez-vous le sentiment que votre musique est perçue différemment selon l’endroit où vous jouez ?

Ce qui diffère, c’est surtout ce qu’on nous met à disposition. En Europe, on tourne avec tout notre matériel (orgue, guitares, batterie). En Amérique du Sud, c’est un peu différent ; parfois, on n’a que deux guitares, parfois on n’a même pas de sonorisation. Nous, ça nous permet de nous revisiter, de ne pas nous enfermer dans des clichés. Pour le public, je pense que ça change effectivement pas mal le rapport. On aime faire du bruit, avoir une approche très garage de notre musique. Sans ampli, c’est plus compliqué, on ne veut surtout pas tomber dans le duo de folk classique, on n’est pas très fan du ukulélé (rires).

On a aussi la chance de jouer dans des cadres différents : des clubs rock ou garage où c’est la fête, des salles plus institutionnelles, plus à l’écoute. On a aussi fait des concerts dans des salons avec une série de shows en appart en France. Et on va jouer en prison dans le cadre d’une tournée prévue en septembre, toujours en France. Ce qui est sûr, c’est que le cadre, le matériel, ça change la perception du public. Mais souvent, il est surpris de l’énergie qu’on peut donner avec peu de choses sur scène !

« Ce moment génère une frustration, mais c’est un moteur pour avancer »

Quelles sont vos attentes pour cette année ?

C’est un peu délicat… On a dû reporter un peu notre tournée. Pour l’instant on est confinés à Buenos Aires, on doit revenir pour l’été alors qu’on avait prévu un retour fin mars ! On a bonne presse, et tous nos concerts d’avril à juin sont reportés à l’automne avec pas mal d’autres dates qui se sont ajoutées. 

Comme chez tout le monde, ce moment génère une frustration, mais c’est un moteur pour avancer, on a juste hâte de rejouer. L’an passé, on n’a pas arrêté de tourner, de voyager, et là, on se retrouve coincés, ça fait bizarre de passer d’un extrême à l’autre. Mais ce qui est sûr, c’est qu’à la rentrée, on va revenir avec de l’envie et de l’énergie !

De quoi parle votre album, Estado Alpha ?

On évoquait précédemment les cultures populaires, je pense que c’est dans le texte : les titres Poor Lonesome Daddy, Ana Me Beso et Aisholpan reflètent bien cet état d’esprit. On reprend aussi trois titres : In the Pines de Lead Belly; Berlin dein Gesicht hat Sommersprossen d’Hildegard Kneef; et Piedra y Camino d’Atahualpa Yupanqui, un auteur argentin très connu ici. Trois reprises de la culture populaire en anglais, en allemand et en espagnol qui illustrent bien que ce disque parle avant tout de voyage et de cultures croisées…

Le voyage, c’est dans l’ADN même de ces titres qu’on a écrits entre deux dates. Ça fait deux ans qu’avec ce projet, on va de Genève à Buenos Aires, de Berlin à Montevideo, en passant par Barcelone.

Et puis, le tout passe par une énergie blues garage, teinté d’exotismes cumbia. On peut dire que c’est un disque qui nous ressemble : urgent, en mouvement, populaire, garage. Si l’album était une carte au tarot, il serait le Mat, le Fou, celui qui marche avec son baluchon. C’est aussi la toute première carte du jeu. On espère sincèrement aller jusqu’à la 21e et dernière carte comme ça !

Ana Me Besó est le premier extrait de votre album. C’est qui Ana ?

C’est une femme libre !