Après plusieurs EP, B77 dévoile enfin son premier album: The Wonderful Labyrinth of the Mind. Un disque unique, sans concession qui puise dans les souvenirs de l’enfance tout en abordant des thématiques adultes. GRRIF a interviewé Léo et Luca, deux musiciens passionnants qui se considèrent plutôt comme des casaniers cérébraux.
GRRIF : Quel regard portez-vous sur The Wonderful Labyrinth of the Mind ?
Un regard certes ambigu. Ce même regard ambigu qu’on porte sur à peu près tout ce qui nous entoure. D’un côté nous en sommes très fiers. Il représente une sorte de vieux rêve enfoui. Une musique rêvée mais dont on n’avait pas les clés.
On aime son côté un peu « œuvre musicale unique » créée sans compromis, sans concession, sans même considérer une seule seconde le confort des potentiels futurs auditeurs. D’un autre côté, certaines écoutes de l’album nous donnent l’impression d’un disque techniquement très amateur… Mais d’une manière plus générale, je pense que cet album a beaucoup de sens pour nous et qu’il vieillira bien, dans nos têtes.
Le disque est assez différent de votre premier EP. On a le sentiment que vous vous êtes affranchis de toutes règles…
Oui, il est très différent. L’état d’esprit dans lequel nous étions lors de sa création était elle aussi très différente que lors de nos précédentes sorties. Nous avions envie de faire de la musique, tout simplement. S’affranchir des règles de la musique électronique actuelle et de nos habitudes de production. Nous nous sommes octroyés une liberté totale dans les structures, mélodies et sons utilisés.
Mais de ces libertés sont nées… de nouvelles règles! Le simple fait de ne pas avoir de règle en est déjà une. Nous avons très vite défini un cadre artistique, et tout ce qui n’y entrait pas a dû être reconsidéré, modifié ou parfois supprimé. Du coup, il y a eu une sorte de rigueur dans la liberté. Au final je pense que ce concept, cette méthode, a porté ses fruits et a permis une cohérence entre tous les morceaux. Une cohérence et un son d’album… enfin j’en ai l’impression.
Justement, le son de votre album rappelle un peu les premières productions lo-fi de Neon Indian, notamment de son album Psychic Chasms…
Je me rappelle que Luca m’avait parlé de cet album mais c’était bien avant la création de The Wonderful Labyrinth of the Mind. Du coup c’est une influence indirecte je dirais. Dans les artistes actuels, on pourrait citer Ariel Pink, mais les influences de production sont plutôt 60ies, 70ies pour cet album. Je pense à un morceau comme Today de Tom Scott & California Dreamers (sans le saxo bien sûr) ou à un groupe comme The Fifth Dimension pour les voix. Il y a certaines influences plus 80ies aussi, et d’autres carrément modernes. Je ne vais pas toutes les citer car la liste serait très longue.
Outre les influences directes, il y aussi des petites choses inexplicables comme les milliers de choix que l’on doit prendre lorsqu’on crée. Pourquoi choisir ce type de son, cette équalisation, ce type de réverb. Il y a beaucoup de choix instinctifs, au feeling… on se laisse guider quand on mix, par quoi? Difficile à le définir exactement… des petites préférences personnelles, des affinités. Nous aimons la profondeur, nous avons voulu créer un son qui ait l’air de provenir de la nature et non d’un home studio. Un son plutôt lointain.
Et puis, dans tout ça, il y a aussi le matériel qui oriente le type de production. Nous mixons dans une vieille Studer 10 pistes, nous aurons donc un son plus nébuleux. Et, enfin, il y a la part de hasard. Les éléments sur lesquels nous n’avons aucune influence.
Il y a quelque chose d’enfantin sur ce disque. Comme un univers merveilleux qui ne semble exister que dans la tête des enfants… et la vôtre !
Bien sûr et d’ailleurs une des source d’inspiration pour cet album était nos souvenirs d’enfance, ou ce qu’il en reste… ou ce qu’on a oublié mais dont il nous reste une sorte de saveur! Et c’est peut-être cette saveur là qu’on a voulu redessiner et convertir en mélodies. On ressent beaucoup d’amusement sur certains passages.
Mais il y a aussi une dualité ou contradiction dans ce disque, sachant que la plupart des textes parlent indirectement de tourmentes, de moments d’incertitudes, de dépression, de recherche d’apaisement, d’instabilité de l’humeur. En résumé: de choses liées à l’âge adulte. Le tout est mis en scène ou raconté de manière très poétique, enfantine. Je crois que ce disque est une sorte de grande célébration de la tourmente. Un reflet majestueux de nos heures sombres. Un regard magique et intriguant sur le cerveau complexe, humain. A ça vient s’ajouter une dimension irréelle, psychédélique…
Quelle est la voix féminine qui nous accompagne tout au long de l’album ?
Meryl Verstandig. Elle vit en Israël avec sa famille. Nous l’avons trouvé sur Instagram et lui avons demandé de nous réciter le texte que Luca avait écrit préalablement. Elle a été géniale, nous a envoyé ses notes vocales qu’on a ensuite passées dans des bandes puis renumérisées. Nous avons gardé contact. Une super collab’. Elle a beaucoup apporté à ce disque.
Est-ce que la période étrange que nous traversons, privés de concerts et des liens sociaux, a eu un impact sur votre création ?
Pas directement. Nous sommes deux personnes assez casanières et aimons passer du temps chacun chez soi, dans nos propre home-studio, à Fribourg pour Léo, et Lausanne pour Luca. Nous communiquons beaucoup via des notes vocales. Du coup, la période étrange que tu décris n’a eu aucun impact sur notre manière de vivre ou de fonctionner, de créer.
Cependant, j’ai l’impression que cette période a influencé l’album de manière indirecte. Elle nous a conforté dans nos choix artistiques. Je m’explique: lorsque l’on vit une période incertaine, le futur lui-même devient incertain. Il est donc plus difficile de se projeter et tout perd un peu son sens. Ce même sens d’ailleurs revient très souvent dans nos discussions. Nous nous sommes mis d’accord sur le fait que la seule manière d’y voir du sens, était de créer une œuvre libre et personnelle. Car l’art est en quelque sorte immortel et conserve son lot de sens même lorsque le monde s’écroule, par exemple.
Est-ce que vous vous définissez comme des cérébraux ?
Oui complètement.
Merci pour ce disque, il nous apaise !
Merci à toi, à GRRIF pour le soutien au projet depuis le début. Tant mieux s’il t’a apaisé. Il n’y avait pas vraiment d’objectif, car comme dit précédemment, il a été conçu sans aucun calcul.